Littérature africaine francophone

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 La littérature africaine de langue française est une littérature de combat : pour la connaissance des cultures originelles, contre la corruption et la dictature des Etats africains, contre le racisme en Occident et contre les conflits ethniques sur ce continent.

Je n’ai retenu que les écrivains  francophones, issus des pays dépendant de la France et de la Belgique. 

Contexte initial : La colonisation de l’Afrique subsaharienne par la France se produit au tournant des années 1880. Dans ce continent à la grande variété de peuples, de religions et de langues & dialectes (au moins 600), la langue française enseignée par les écoles de la république « civilisatrice » va se révéler un véhicule commun pour exprimer hors de chez eux l’essence de ces peuples et leurs tourments contemporains.

Cette langue française va se charger d’africanité : en intégrant dans son parler la tradition du griot et l’oralité (un peu comme dans les romans de Saramago), et le rythme d’autres langues. Chaque écrivain africain est bilingue : à l’école, il a appris le français ; dans la rue, le peul, le lingala, le yuruba…

Les fers de lance de l’expression française « d’Outre-mer » sont leurs « frères » nés en une terre où l’implantation de la France est beaucoup plus ancienne : les Antilles, marquées par le souvenir de l’esclavage comme de son abolition, qui va porter le concept de « négritude ».

1 – L’affirmation de la négritude

  1. Goncourt et appui des Surréalistes

Dès 1921, le prix Goncourt couronne le premier roman de littérature « nègre» (c’est le terme de l’époque), Batouala du guyanais René Maran, fonctionnaire antillais du ministère des Colonies. Il décrit les difficultés d’un grand chef africain sous l’administration coloniale.

La même année, le poète Blaise Cendrars publie son Anthologie de la poésie nègre, où il rassemble récits oraux et écrits : légendes concernant la création de la terre, des animaux et des hommes, contes merveilleux, fables et fabliaux humoristiques ou poétiques.

En citoyen du monde, Cendrars, veut rehausser au niveau des mythes blancs la prise en compte de ces récits d’Afrique. Il partage l’estime des Surréalistes pour l’Afrique et son art « primitif » (aujourd’hui on dit « art premier »).

  • La négritude

Le concept nait entre Harlem (Etats-Unis), les Antilles et Paris, où des étudiants en lettres et poètes en herbe vont à travers plusieurs revues littéraires dirigées par le poète et député martiniquais Aimé Césaire (1913-2008), développer ce mouvement que Senghor résume ainsi : « la découverte des valeurs noires et la prise de conscience par le Nègre de sa situation ».

Le plus grand texte de Césaire est son récit poétique, Cahier d’un retour au pays natal :

Dimension plus contemporaine, la réhabilitation de l’homme noir, combat que mène par exemple le philosophe existentialiste Franz Fanon (1925-1961) (Peau noire, masques blancs) (Points).

  • La poésie

La poésie est un bon véhicule des récits africains où « il n’y a pas de frontière entre le visible et l’invisible », comme l’explique le Sénégalais Léopold Sédar Senghor (1906-2001). Reçu au concours de l’Ecole Normale Supérieure (la plus grande école de littérature en France), celui-ci est grammairien, il est aussi poète et sera 20 ans Président du Sénégal.

Son poème le plus célèbre est Homme de couleur

Homme blanc,

Quand je suis né, j’étais noir
Quand j’ai grandi, j’étais noir
Quand je vais au soleil, je suis noir
Quand je suis malade, je suis noir
Quand j’ai peur, je suis noir
Quand je mourrai, je serai noir

Tandis que toi, homme blanc
Quand tu es né, tu étais rose
Quand tu as grandi, tu étais blanc
Quand tu vas au soleil, tu es rouge
Quand tu as froid, tu es bleu
Quand tu as peur, tu es vert
Quand tu es malade, tu es jaune
Quand tu mourras, tu seras gris

Alors dis-moi, de nous deux, qui est l’homme de couleur ?

Ses recueils les plus célèbres : Chants d’ombre Hosties noires ; Ethiopiques.

En Haïti, René Depestre, leur cadet (né en 1926), produit des récits d’une langue somptueuse et sensuelle, comme Hadriana dans tous mes rêves (Folio), roman sur le sort de deux femmes en pays vaudou.

De son côté Jacques-Stephen Alexis (1922-1961) développe un réalisme magique créole dans L’espace d’un cillement (L’Imaginaire).

Le flambeau en Haïti est repris par un jeune poète très marquant, proche du rap, Makenzy Orcel(1983). Les immortelles (Folio) rend hommage aux prostituées « montées à bord de l’irrémédiable », le tremblement de terre de Port-au-Prince de 2010.

  • – Indépendances ratées et identités

Contexte : Les Etats africains naissent en 1960 ; leur indépendance est vite limitée par des coups d’Etat militaires. Plusieurs pays gardent le même président réélu à 95% des voix pendant trente ans, avec l’appui des réseaux de la « Françafrique ». La France est à la fois le pays qui accueille les étudiants africains (et leur refuse de plus en plus l’assimilation) et celui qui garde une tutelle économique et de défense sur ces pays, surtout quand ils disposent de ressources énergétiques.

Les romans traduisent ces contradictions.

  1. Retour au village

La mise en place autoritaire de ces Etats, le grossissement des cités, va heurter et réveiller l’attachement aux racines familiales et claniques.

Le plus connu est L’enfant noir de Camara Laye (1928-1980) décrit l’enfance de l’écrivain en Haute-Guinée.

Le récit du malien Amadou Hampaté Bâ (1900-1991), Amkoullel, l’enfant peul, restitue bien l’état d’esprit de l’Afrique ancestrale, entre école coranique et école de la république.

Ce mouvement se perpétue dans une veine plus contemporaine. Par exemple le romancier et poète Nimrod (né en 1959) produit de beaux livres délicats sur son village natal au Tchad, comme L’or des rivières (Actes Sud)

  • Les femmes prennent la parole

C’est à partir des années 1970 et 1980 que plusieurs femmes écrivains commencent à jeter la lumière sur le rôle ou le sort des femmes africaines.

Les premières voix des femmes à s’exprimer dans les années soixante-dix sont la Malienne Aoua Keîta (Femmes d’Afrique), la Sénégalaise Mariama Bâ (1929-1981) (Une si longue lettre) ou la Guadeloupéenne Maryse Condé (1937) qui dans Moi, Tituba sorcière (Folio), conte le récit d’une sorcière de Salem, ancienne esclave volée en Afrique.

Dans Pluie et vent sur Télumée Miracle (Points), la Guadeloupéenne Simone Schwarz-Bart décrit aussi le parcours d’une femme d’exception.

  • Les nouveaux despotes

A la même époque que les écrivains d’Amérique latine, plusieurs écrivains africains dénoncent la situation politique, la dictature et les camps d’internement, et la disparition de leurs cultures traditionnelles.

L’Ivoirien Ahmadou Kourouma (1927-2003) mêle le malinké et le français, reprenant les recettes du griot, dans un torrent verbal qui rappelle Garcia Marquez.

Un livre fondateur de ce courant en 1968, Le soleil des indépendances (Points) (titre ironique), où Fama, authentique prince malinké, devient prisonnier du Parti unique.

Son meilleur livre est probablement En attendant les bêtes sauvages (Points)

  • La guerre civile africaine

Contexte : Fin de la guerre froide. La France était gardienne de la défense armée de ces pays contre le péril communiste qui a maintenant disparu. Elle veut se désengager et demande (plus ou moins sincèrement) aux dirigeants africains davantage de démocratie et des élections libres.

L’exemple sud-africain de transition réussie vers un régime pluraliste ne sera pas suivi au nord du continent. Les coups d’Etat vont se succéder, et plusieurs pays exploser en zones instables : hier le Zaïre (redevenu le Congo-RDC), le Congo-Brazzaville, la Côte d’Ivoire, aujourd’hui le Burundi, le Mali et la Centrafrique.

Ces conflits nouveaux extrêmement violents sont au centre de beaucoup de romans. Trois thèmes se détachent en particulier

  • L’enfant-soldat
  • L’aîné des orphelins de Tierno Monénembo
  • Allah n’est pas obligé, le dernier livre d’Ahmadou Kuruma
  • Les femmes dans la guerre
  • Johnny, chien méchant d’Emmanuel Dongala
  • Le cas du Rwanda

Plusieurs autrices s’expriment sur le génocide, notamment Scholastique Mukasonga (Notre Dame du Nil)

  • – Vers un nouveau métissage (années 2000)

Qui sont les chefs de file de cette littérature aujourd’hui ?

  • le Brazzavillois Alain Mabanckou (Verre cassé ; Petit piment)
  • l’Haïtien Dany Laferrière (académicien), (Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer)
  • la Franco-sénégalaise Leonora Miano (Impératrice rouge)
  • Le Sénégalais Mohammed Mbougar Sarr (Terre Ceinte ; Silence du Choeur)
  • le Congolais (in Koli) Jean Bofane (Congo Inc)
  • le Togolais Tierno Monénembo (Le terroriste noir)
  • et le Brazzavillois Wilfried N’Sondé (Le cœur des enfants léopards)
  1. Les métisses de la diaspora

Depuis les années 1980, les Africains de métropole s’expriment sur leurs difficultés d’intégration.

  • La carte d’identité de l’Ivoirien Jean-Marie Adiaffi (1941-1999) (Monde Noir poche)

La seconde génération, à l’image de la nigériane Chimamanda Ngozi Adichie (1977) (Americanah), réfléchit aux difficultés du métissage culturel : comment être Africain en France ? Comment soutenir ou valoriser l’Afrique depuis la France? Un problème nouveau irrigue cette réflexion de fond : les migrants.

Le Djiboutien Abdourahman A. Waberi (1965) qui enseigne à Washington, a imaginé dans son facétieux Aux Etats-Unis d’Afrique, que ce continent était devenu le plus puissant au monde, et accueillait des migrants venu d’un pays pauvre et surpeuplé, appelé les Etats-Unis…

Les chefs de file de ce courant sont aussi de plus en plus des autrices : féministes, africaines et attachées aux libertés occidentales, elles défendent un nouveau métissage dans les deux mondes.

Léonora Miano, (1973), très présente dans le débat français, s’intéresse de plus en plus à des icônes africaines Crépuscule du tourment ; Rouge impératrice : anticipation dans un siècle (https://www.babelio.com/livres/Miano-Rouge-imperatrice/1147808)

La Franco-sénégalaise Fatou Diome (1968) a très tôt pris la dimension de la question migratoire avec Le ventre de l’Atlantique.

Véronique Tadjo, (1955), est surtout familière de l’Afrique de l’Ouest, En compagnie des hommes (sur le virus Ebola)

Comment cuisiner son mari à l’africaine, de Calixte Beyala (1961) vous expliquera très drôlement comment ensorceler votre voisin malien, en cuisinant correctement le crocodile en plein cœur de Paris.

  • Le polar : ville cosmopolite et corruption

Le meilleur polar africain que j’ai lu, est un très bon policier, dans une veine américaine, mais il est anglophone : Lady Lagos, de Leye Adenle (1975), sur un Blanc perdu dans les méandres criminels de cette ville tentaculaire. Drôle et prenant.

Le polar africain est sans doute en train de faire sa mue. Dans les années 80, plusieurs récits portaient sur le rapport entre violence urbaine et obscurantisme au village. En témoignent les enquêtes menées par le commissaire Habib, inventé par Moussa Konaté (1951-2013) : L’honneur des Kaita ; L’empreinte du renard (Points Policier)

De même Amata d’Abasse Ndione (1946) (Folio Policier) est le beau récit d’une déesse de la mer sur les vérités du Sénégal.

Le polar a été aussi un véhicule pour des opposants politiques majeurs, comme le Camerounais Mongo Béti (1932-2001) (Branle-bale en noir et blanc).

Aujourd’hui, ce sont les mégalopoles et la corruption des régimes qui sont décortiqués. Le Gabonais Janis Otsiemi (1976) est l’auteur le plus connu (Tu ne perds rien pour attendre ; La vie est un sale boulot ; Le chasseur de lucioles).

Le livre de Tierno Monénembo (1947) Les crapauds-brousse, est aussi assez bon sur ce thème de la corruption.

  • Mondialisation et islamisation

L’Afrique est le premier continent à être entré aussi loin dans les conséquences de la mondialisation. La littérature la plus forte me semble venir ici de deux pays antagonistes : le Congo et le Sénégal.

(In Koli) Jean Bofane (1954) dresse un portrait sans concession de l’état actuel de son pays, la RDC, un peu comme Rabelais, avec de l’humour, des personnages inoubliables, et parfois des scènes très dures.

  • Mathématiques congolaises, Actes Sud
  • Congo Inc, (Le testament de Bismarck), Actes Sud, MON COUP DE CŒUR, décrit trois destins de jeunes dans le Congo d’aujourd’hui : un militaire, une prostituée, un enfant des rues. Le livre est à la fois très fort, parfois drôle, parfois effrayant, rabelaisien, il démonte les ressorts du pays aujourd’hui.

Tram 89, de Fiston Mwanza Mujila (1981) (Livre de poche) est un autre livre coup de poing, par sa langue et la profusion de ses personnages, que j’ai beaucoup aimé. On suit les destins du poète, du mineur, de l’espion présents dans les bars de Lubumbashi, au cœur du Katanga, la réserve de cuivre du Congo.

Autre coup de cœur, le jeune philosophe et romancier sénégalais Mohammed Mbougar Sarr (1990), qui s’est imposé en à peine trois livres :

  • Dans Terre Ceinte, il raconte l’histoire inoubliable d’un groupe d’intellectuels décidant, dans une ville tombée aux mains des Islamistes, de faire résistance en publiant un journal dissident.
  • Silence du Chœur : porte sur les migrants en Sicile et les Italiens qui les croisent ; chaque rencontre changera ces hommes
  • De purs hommes (Philippe Rey), sur la difficulté d’un « homme-femme » au Sénégal, c’est-à-dire un homosexuel.
  • « L’Europe a besoin de l’Afrique »

Autant qu’en littérature, on observe en philosophie politique l’affirmation, portée par les intellectuels sénégalais que l’Afrique n’a plus besoin des Occidentaux pour se développer ; A l’inverse, le passé africain, ses traditions enrichiraient beaucoup la sociologie européenne.

  • Afrotopia de Felwine Sarr (1972)
  • Ecrire l’Afrique-monde d’Achille Mbembe (1957) et Felwine Sarr, recueil d’articles de philosophes et écrivains

Mais cette réconciliation entre l’Occident et l’Afrique passera aussi par un travail de mémoire. De plus en plus de romans reviennent sur le nœud gordien de cette relation : la traite négrière et l’esclavage.

  • Un océan, deux mers, trois continents, de Wilfried N’Sondé (1968), livre couvert de prix, décrit le périple d’un envoyé du Pape pour observer le commerce triangulaire au tout début du XVIIe siècle.

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